Les mouettes – Sandor Marai
Pourquoi ce livre ? Comme vous le savez déjà, Sandor Marai est un de mes auteurs préférés et dont je voudrais volontiers avoir lu toutes les oeuvres. Albin Michel publie chaque année la traduction d’un de ses romans, et celui-ci est le dernier en date. Autant dire que j’avais surveillé sa sortie, même si je ne l’ai pas lu tout de suite ^^
Au début des années 40, dans le bureau d’un ministère, un haut fonctionnaire hongrois de 45 ans reçoit une jeune réfugiée finlandaise de 22 ans, qui demande son aide pour obtenir un permis de résidence et de travail. Saisi, il croit reconnaître en elle la jeune fille qu’il a aimée mais en aimait un autre, et qui s’est suicidée cinq ans plus tôt. Elle en est le parfait sosie. Il invite à l’opéra cette « mouette » venue de si loin, et la soirée se prolonge chez lui, très avant dans la nuit, par une conversation, ou plutôt un de ces doubles monologues dont Márai a le secret.
Elle expose son histoire, les détours qui l’ont amenée en Hongrie, il s’exalte sur le hasard, les coïncidences. La tension de cette rencontre énigmatique est encore accrue par l’imminence de la guerre et l’attente d’un coup de téléphone dont on devine qu’il est d’une importance capitale non seulement pour l’homme mais pour le pays…
Sandor Marai a dans ses habitudes de faire de ses romans, des trames psychologiques où un ou deux personnages racontent leur histoire, leurs émotions et réflexions, à tour de rôle. C’était déjà le cas dans Les braises présenté sur ce blog, c’est aussi le cas dans La soeur ou L’héritage d’Esther. Dans ses histoires, on se retrouve souvent face à un personnage tourné vers un passé qui le hante, un passé resurgi par un détail ou un évènement. Le protagoniste s’y confronte alors par un débit de paroles, de souvenirs, auquel il confronte l’autre, qui y répond plus souvent de manière distante et ambiguë, autant pour faire avance la réflexion, que pour lui opposer une confrontation directe avec les idées émises. C’est ce qui arrive ici aussi, de manière sans doute moins bien tournée et moins entraînante que dans Les braises, mais avec cependant une force et une poésie toute égale, pour ce roman publié un an après.
Notre protagoniste principal est un homme certes aussi tourmenté plus ou moins par son passé, mais qui cependant a abandonné l’idée de conserver sa jeunesse enfuie. Moins obsédé qu’on ne pourrait le croire par les années écoulées, son destin heurte cependant un drôle d’écho avec ses souvenirs, quand une jeune femme pousse le pas de sa porte pour demander un travail et un permis de résidence. Car cette femme, Aino Laine (Vague Unique) n’est autre que le sosie parfait d’une femme qu’il a aimé un jour, et dont il n’a jamais tout à fait compris les raisons de son suicide. Il croit d’abord à une farce ironique et cruelle du destin, comme un avertissement, avant de considérer cela comme un miracle et peut-être une chance. Un mystère en tout cas qu’il essaye de percer en invitant la jeune fille à l’opéra puis chez lui. Ils entament alors là une discussion assez vertigineuse et surréaliste, sur les doubles, les échos du destin, leurs histoires communes, la guerre, les origines de l’un et de l’autre, la jeunesse enfuie, la solitude. Bref, vous l’aurez compris, aucune action réelle dans ce roman, seulement ces monologues qui dévoilent l’âme des personnages et leurs pensées, leur destin à travers l’Histoire.
« On dirait que dans le monde, les spectres ne rôdent pas que dans la nuit. Ils viennent aussi le matin, dans la lumière éclatante de midi. »
Et c’est ce qui fait à la fois le style de Marai et son charme. On peut difficilement s’attacher à un personnage, pourtant, c’est majoritairement leur histoire qui est racontée ici. Cependant, on se trouve vite séduit par le style poétique et les idées émises, les hasards qui se révèlent être des fatalités entre ces deux personnages, dont l’un n’a après tout que le tort d’être le double parfait physique d’un autre personnage évoqué, sans cependant sa personnalité ou ses souvenirs ; pourtant son histoire a un écho avec la disparue, et c’est ce mystère que le protagoniste principal cherche à deviner.
Si vous êtes allergiques au style psychologique et aux thèmes évoqués, vous pouvez passer votre chemin, idem si vous n’aimez pas les personnages un peu indéfinis ; mais si vous aimez les styles poétiques, les face-à-face emplis de tensions et de sous-entendus, d’idées qui dépassent les personnages en eux-mêmes et d’une écriture subtile, ce livre vous plaira sûrement. C’est une ambiance hypnotique, comme plongée dans un rêve où le surnaturel effleure doucement le quotidien…et c’est ce qui donne toute son étrangeté à ce texte qui recèle quelques perles au niveau citations et idées, même si on n’est pas forcément toujours d’accord avec l’auteur. Et pourquoi Les mouettes ? Parce que ce sont des oiseaux migratoires, mais qui évoquent aussi les retrouvailles du destin.
Un petit mot au passage pour dire que les nouvelles couvertures des livres de Marai, depuis quelques rééditions, sont particulièrement bien choisies dans le sens où elles évoquent tout à fait l’atmosphère mystérieuse, d’une époque révolue, de ses ouvrages. ^^
-Et toi ?…D’où viens-tu et qui es tu, pour toi et pour moi ? Nous nous égarons si nous errons ainsi en nous-mêmes et entre nous. Tu n’as pas peur de cela ?
-Si, j’en ai un peu peur, dit-il avec gravité. Je crois que c’est la seule chose que je craigne dans la vie, rien d’autre. Et il m’a fallu arriver jusqu’à cette nuit pour m’en rendre compte. Maintenant je sais. J’ai appris autre chose au cours des heures qui viennent de passer : rien n’effraye autant les hommes que cette reconnaissance, cet instant où la vie arrache leurs masques, cet instant où ils doivent reconnaître que cette chose fébrilement, jalousement préservée sous ce masque, leur « moi », n’est pas le gage inconditionnel de la personnalité en laquelle une ambition démesurée leur a fait croire. Le « moi » est quelque chose de commun, Aino Laine, quelque chose de répétitif, maintes fois recopié, qui se mélange et se renouvelle à l’infini et qui, dans l’absolu, n’est pas vraiment personnel. Quand je t’ai embrassée tout à l’heure, sache que ce n’est pas uniquement toi, la femme qui est venue vers moi par les labyrinthes du monde, que j’ai embrassée, mais également une autre femme dont tu es une partie et qui, même morte et en cendres, fait de ce phénomène que tu appelles « moi ».
Roman hongrois.
Titre original : Sirály
Editions : Albin Michel (collection Les Grandes Traductions)
Parution originale : 1943
Parution française : 2013
Disponibilité : en librairie (18 euros)
225 pages.
EAN : 9782226252067
Lecture en cours : Le mystère du Pont Gustave Flaubert & Orlando de Virginia Woolf.
http://lamalleauxlivres.com/les-mouettes-sandor-marai/http://lamalleauxlivres.com/wp-content/uploads/mouettes2.pnghttp://lamalleauxlivres.com/wp-content/uploads/mouettes2-150x150.pngNon classéAlbin Michel,Les mouettes,littérature hongroise,Roman psychologique,Sandor Marai,SiralyPourquoi ce livre ? Comme vous le savez déjà, Sandor Marai est un de mes auteurs préférés et dont je voudrais volontiers avoir lu toutes les oeuvres. Albin Michel publie chaque année la traduction d'un de ses romans, et celui-ci est le dernier en date. Autant dire que j'avais...HauntyaHauntya bunesque@live.frSubscriberDiplômée en métiers du livre et en digital humanities, elle adore la littérature depuis son enfance. Spécialiste des livres de bibliothèques rendus en retard, ses lectures sont variées même si elle affectionne particulièrement les classiques et les romans du XIXe siècle, avec un chocolat chaud ou un thé. Elle ne demande qu'à ce que les livres la fassent rêver mais aussi réfléchir. Blog personnel : http://hauntya.wordpress.comLA MALLE AUX LIVRES
Honte à moi ! Je n’ai jamais lu Sandor Marai. Comme je ne suis pas allergique à la psychologie et que j’ai beaucoup aimé le dernier extrait, je vais probablement commencer par Les mouettes.
Oh il n’y a aucune honte, j’ignorais complètement l’existence de cet auteur avant de passer une année en Hongrie ! ^^ Mais j’essaye de le faire découvrir et de le découvrir autant que possible, vu que c’est devenu un de mes favoris ! En tout cas celui-ci je le recommande pour commencer l’auteur, je l’ai vraiment beaucoup aimé. Certains de ses livres sont plus lents et plus difficiles (et moins passionnants tout simplement) mais celui-ci fait partie des meilleurs je pense, donc je te le conseille ! ^^
Une année en Hongrie ? Je t’envie !! J’ai plein de livres qui attendent d’être lus, mais dès que j’ai le temps je me plonge dans celui-là.
Oui, j’ai pu faire une année Erasmus là-bas, et c’était simplement merveilleux ! ^^ D’où mon intérêt pour ce pays et sa littérature ! On a toujours trop de livres à lire et pas assez de temps, je suis dans la même situation que toi ! Bon courage !
Il me tente vraiment, celui-là ** Je vais voir si je le trouve à ma bibliothèque !
Ça me donnera l’occasion de découvrir ces auteurs de l’est que je connais si peu ^^
Il est récent donc je pense qu’il y a une chance ! J’espère que tu apprécieras en tout cas **