Les fauves – Ingrid Desjours
Tout d’abord, je voudrais remercier Babelio et les éditons Robert Laffont pour cet envoi ! Je ne connaissais pas du tout l’auteure et ai principalement été attirée par le sujet qu’elle a traité. Honnêtement, on lit des centaines d’articles ou de livres d’opinion sur le djihadisme mais pas beaucoup de romans émergent. D’autant plus que ça faisait un petit moment que je n’avais pas lu de thriller et je pense qu’il faut aussi le placer dans cette catégorie. Mais si, regardez, la couverture est noire avec de grosses éclaboussures de sang. Il y a beaucoup de choses à dire, j’espère que je ne serai pas trop confuse et que je saurai traduire mon sentiment général !
Ambitieuse et sans concession, la belle Haiko est à la tête d’une ONG luttant contre le recrutement de jeunes par l’Etat islamique. Ses méthodes plus que radicales, ses intentions souvent troubles, son goût pour le feu des projecteurs ont fait d’elle une proie de choix pour les extrémistes de tous bords. Et surtout la cible d’une fatwa : «Violez-la ! Torturez-la ! Tuez-la !» Vétéran de l’Afghanistan, capturé par les talibans, Lars a survécu à l’enfer.
De retour à Paris, il est perdu dans cette société qu’il ne comprend plus. Et si sa reconversion dans la protection rapprochée lui donne de nouveau le sentiment d’avoir un but, seules sa foi et ses valeurs font rempart contre ses démons. Quand Haiko commence à se sentir suivie où qu’elle aille, quand ses proches sont directement menacés, quand enfin les morts se multiplient autour d’elle, la jeune femme fait alors appel à Lars pour la protéger.
Mais que peut un homme seul face à des tueurs fanatiques ? A des anonymes qui ont peut-être déjà infiltré l’entourage de sa cliente ? Comment la convaincre de s’en remettre à lui quand il a tant de difficultés à se laisser approcher ? Prisonniers de leurs traumatismes passés, Haiko et Lars sont comme deux fauves en cage. Deux fauves bien plus féroces qu’il n’y paraît. Ils vont cependant réussir à baisser la garde.
Mais il n’est pire prédateur que celui qui vous a apprivoisé…
Ce que j’attendais du roman : Pas un roman centré sur les personnages, pas un roman centré sur l’histoire, un gros coup de projo sur l’actualité. Le terrorisme n’est pas un personnage à part entière, il est un contexte. De la même façon qu’un roman sur la seconde guerre mondiale ne passe pas à côté du contexte historique. Et là, je pense que Ingrid Desjours est totalement dans son époque. J’ai suivi et beaucoup apprécié la série « Homeland » qui revient sur la psychologie du soldat revenu de la guerre après la captivité, la torture, le désespoir… Bien entendu, je n’attends pas de retrouver des personnages que j’ai aimés dans mes lectures mais à mon avis, des pans de la personnalité d’un ancien soldat sont forcément à explorer.
Par rapport à mes attentes, je n’ai pas été déçue. L’histoire : Elle est simple en apparence. Une jeune femme qui sauve des jeunes qui veulent faire le djihad est la cible d’une fatwa et un garde du corps est engagé pour la protéger. Les apparences sont évidemment trompeuses et le roman permet de plonger ce synopsis dans un jeu troubles de mensonges, de faux-semblants, d’argent et de secrets… Et en parallèle, nous avons une multitude de personnages que j’ai trouvé plutôt bien construits. Sauf les héros en fait. Enfin ce n’est pas qu’ils sont mal construits mais je pense que tout leur potentiel n’est pas exploité et les traits les plus marquants de leur personnalité sont trop présents, ce qui les rend parfois caricaturaux. Je pense qu’il est très clair dès les premières pages que Lars est une montagne de muscles et qu’il possède un charisme qui donne une suée froide mais à quoi bon décrire si souvent son incroyable virilité ? Le fait que sa masse musculaire et sa bestialité soient associées à une sorte de virilité suprême m’a vraiment dérangée. Alors que sa recherche de la douleur, son passé (que j’aurais aimé découvrir plus tôt dans le récit) le rendent extrêmement fort ! Allez, j’avoue que malgré ses dix kilos de testostérone, j’aime bien le personnage. Il y a en dépit du sujet beaucoup d’humour dans le roman, et souvent grâce à ses piques assassines. La rencontre entre ce anti-héros et le frère de Haiko traduit parfaitement le caractère du personnage et on se l’imagine très bien. Son texte est chaque fois un vrai régal ! Cette petite phrase de la page 45, quand Dimitri lui tapote l’épaule « Lars se demande si cet homme est tout simplement con ou bien franchement suicidaire », j’ai adoré !
Quant à Haiko, je ne sais pas trop quoi en penser. Sans doute comme tous les personnages qui croisent son chemin. C’est vrai qu’elle est assez difficile à cerner, elle est à la fois très humaine et un peu hors de la réalité. Elle joue double-jeu mais… en fait c’est surtout sa perception de l’amour, du sexe et de la relation homme/femme qui m’a gênée. À ce niveau, elle est incohérente pour moi. Quand on la suit dans ses relations amoureuses, elle semble aller dans le sens de la culture du viol. Son fantasme c’est d’être plaquée contre un mur par un mec plus fort qu’elle. On nous dit bien qu’elle couche avec un gars qui a peur de l’engagement (ça pourquoi pas), puis : « Ça et une virilité revendiquée, ainsi que le besoin de prendre sa revanche sur les femmes, un désir dévorant de les dominer au lit pour se sentir exister. Bref, le coït a été presque parfait ». Plus tard, Haiko marche avec Lars qui observe les environs comme « un petit ami jaloux » et on comprend que c’est la vision de Haiko du CHEVALIER DES TEMPS MODERNES. En ça : non non non et non ! Pour un personnage qui essaie plus loin de défendre les femmes face au machisme de Lars, c’est non ! Cette complaisance dans un système archaïque qui juge que l’homme (le vrai) a un pénis énorme, des muscles à ne plus savoir quoi en faire, une jalousie à la limite de la paranoïa, ça m’a vraiment dérangée. Dès lors, j’ai eu beaucoup de mal à m’attacher à Haiko. Et Lars qui explique que l’autodéfense ne permettra jamais à une femme de se défendre contre un homme plus lourd qu’elle… Sur ce point (qui me touche, personnellement) j’ai trouvé ça dommage ! Le beau discours de Haiko sur les femmes présentes à une soirée mondaine ne l’a pas sauvée à mes yeux.
Aussi (j’avais dit que j’aurais beaucoup à dire), j’ai trouvé très intelligentes les allusions ou références à Charlie Hebdo. Une fois encore, Ingrid Desjours est une auteure qui vit dans son époque, elle est consciente du monde qui l’entoure et elle nous plonge avec « Les fauves » dans un roman plus que crédible. Les articles de journaux qui font des rappels aux sujets qu’elle aborde sont judicieusement choisis et m’ont donné envie de m’intéresser à des phénomènes ou pratiques dont je n’avais pas entendu parler. J’ai trouvé cela très intéressant. Aussi, elle accorde une très grande place à internet et elle l’exploite vraiment quand il le faut. Je ne raconterai pas la fin mais je suis très contente d’avoir pu avoir ce livre entre les mains. Le réalisme des scènes (notamment celle avec Nadia au début) permet de bien plonger dans les scènes. Pas de poésie dans des scènes qui n’en n’ont pas besoin… Les mots justes, même s’ils sont parfois crus, sanglants, amers, violents mais pas de gore ou de superflu. Une écriture agréable que j’espère retrouver dans de prochaines lectures !
Éditeur : Robert Laffont
Prix / ISBN : 20.50€ / 9782221145951
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