En finir avec Eddy Bellegueule – Edouard Louis
Pourquoi ce livre ? Parce que j’ai envoyé une critique de livres au Prix du roman étudiant Télérama – France Culture et que je fais partie du jury des étudiants. Du coup, dix titres de la rentrée littéraire sont en lice, dont celui-ci, qui est le premier que j’ai lu. Je ne sais pas si j’aurai le temps de tous les lire, mais je suis en bonne voie ^^
« Je suis parti en courant, tout à coup. Juste le temps d’entendre ma mère dire Qu’est-ce qui fait le débile là ? Je ne voulais pas rester à leur côté, je refusais de partager ce moment avec eux. J’étais déjà loin, je n’appartenais plus à leur monde désormais, la lettre le disait. Je suis allé dans les champs et j’ai marché une bonne partie de la nuit, la fraîcheur du Nord, les chemins de terre, l’odeur de colza, très forte à ce moment de l’année.
Toute la nuit fut consacrée à l’élaboration de ma nouvelle vie loin d’ici ». En vérité, l’insurrection contre mes parents, contre la pauvreté, contre ma classe sociale, son racisme, sa violence, ses habitudes, n’a été que seconde. Car avant de m’insurger contre le monde de mon enfance, c’est le monde de mon enfance qui s’est insurgé contre moi. Très vite j’ai été pour ma famille et les autres une source de honte, et même de dégoût.
Je n’ai pas eu d’autre choix que de prendre la fuite. Ce livre est une tentative pour comprendre.«
Le premier livre lu se révèle une bonne surprise. On a ici l’histoire (dite romanesque, mais on s’aperçoit vite que c’est une autobiographie) d’un jeune Picard qui grandit dans un milieu rural où il se sent étranger, et où il découvre qu’il est gay. Etranger, parce qu’il a vite ce qu’on appelle des manières, une voix plus aiguë que la normale, et qu’il se sent décalé avec les autres de son âge, peu adapté au milieu dans lequel il vit, et peu familier avec son entourage. C’est le récit de comment il prend conscience de sa différence, comment il essaye de la corriger (notamment en sortant avec des filles pour lesquelles il n’a pas d’attrait), et comment il essaye finalement de l’accepter en s’échappant de sa fille et en allant étudier à l’étranger.
En finir avec Eddy Bellegueule – les véritables prénoms et noms de l’auteur, il en a changé de sa propre volonté – est donc le récit de comment cet homme a fini par s’affranchir et se détacher du milieu où il vivait. Par la même occasion – et ce que j’ai trouvé très intéressant – il en profite pour décrire et analyser les mécanismes du milieu où il vit. Les habitudes si ancrées qu’on ne se pose même plus de questions dessus (les pères et fils vont travailler à l’usine, les filles ne font pas d’études car elles tombent vite enceintes et se marient, condamnées à devenir des femmes au foyer, tout ça dans toujours la même ville ou les mêmes environs, les mêmes rituels d’une génération à l’autre, la perte progressive d’un idéal de changer par rapport à sa famille) et qu’on les laisse décider à sa place de la vie qu’on aurait, insidieusement. Un genre de contraintes sociales tellement inhérentes qu’on finit par ne même pas chercher à lutter contre, ce qui pousse à réfléchir et se demander quelles sont les contraintes qu’on a dans nos propres milieux, nos propres familles, les préjugés et principes dits « innés » de naissance qu’on ne cherche même pas à confronter. Même si le récit de l’évolution de l’auteur m’a aussi plu, c’est sans doute cet aspect social qui m’a le plus intéressée, car il nous pousse à réfléchir.
Quelques mots sur l’écriture qui alterne langage directement rapporté de la ville de l’auteur, avec son ton familier, ses tournures orales, ses grossièretés ; et un ton plus distant et évolué, en analyse sur ce passé que raconte le narrateur. Cela contribue à la puissance du livre et fait qu’on le lit très vite, avec intérêt.
Si je peux comprendre les raisons de ce témoignage, plus que roman comme le prétend la couverture, avec ce qu’il dénonce et remet en cause, entre préjugés sur les homosexuels, dénonciation d’un milieu, guérison pour l’auteur, il reste qu’il représente ce qui est un peu pour moi le défaut de la littérature française contemporaine : le côté nombriliste. Je lis peu de livres français contemporains, souvent parce que j’ai l’impression que cela tourne toujours d’une façon plus ou moins romancée autour de la personne de l’auteur. Ce qui peut être pertinent, mais aussi lassant, à la longue (autant que les auteurs qui se répètent toujours dans leurs thèmes et structures d’histoires).
A noter que le livre fait partie des sélections pour le Goncourt du premier roman. (et que visiblement, l’auteur a fait une rupture avec sa famille quand celle-ci a compris de quoi se composait ce livre…)
Autobiographie française.
Editions : Seuil
Parution originale : 2014
Disponibilité : en librairie (17 euros)
219 pages.
EAN : 9782021117707
Lectures en cours : La voleuse de livres de Markus Zusak, et Les renards pâles de Houen.
http://lamalleauxlivres.com/en-finir-avec-eddy-bellegueule-edouard-louis/http://lamalleauxlivres.com/wp-content/uploads/ban.jpghttp://lamalleauxlivres.com/wp-content/uploads/ban-150x150.jpgNon classéAutobiographie,Edouard Louis,En finir avec Eddy Bellegueule,Littérature française,roman français,SeuilPourquoi ce livre ? Parce que j'ai envoyé une critique de livres au Prix du roman étudiant Télérama - France Culture et que je fais partie du jury des étudiants. Du coup, dix titres de la rentrée littéraire sont en lice, dont celui-ci, qui est le premier que j'ai...HauntyaHauntya bunesque@live.frSubscriberDiplômée en métiers du livre et en digital humanities, elle adore la littérature depuis son enfance. Spécialiste des livres de bibliothèques rendus en retard, ses lectures sont variées même si elle affectionne particulièrement les classiques et les romans du XIXe siècle, avec un chocolat chaud ou un thé. Elle ne demande qu'à ce que les livres la fassent rêver mais aussi réfléchir. Blog personnel : http://hauntya.wordpress.comLA MALLE AUX LIVRES
Haaaaaaaaaa je dois lire ta critique dès que j’ai trois secondes et demi ! Il vient de Picardie et les avis sont partagés alors le tien m’intéresse grandement. Je reviens squatter ici dès que je t’ai lue ! Merci =)
Oui, j’ai pensé à toi en plus ^^ Tu me diras si cette critique t’aide ! Personnellement, c’est un livre que j’ai beaucoup aimé lire en tout cas, même si je ne suis pas forcément d’accord avec ce genre dans la littérature française. En tout cas, ça marque en le lisant, et ça a le mérite de faire s’interroger ^^