Jonathan Strange et Mr Norrell – Susanna Clarke
« – Un magicien peut-il tuer avec sa magie ?
– J’imagine qu’un magicien le pourrait, un gentleman jamais. »
Il est toujours dur de devoir choisir un seul livre lorsqu’on nous demande lequel nous préférons. Toutefois, si je devais n’en choisir qu’un –non sans douleur tout de même-, ce serait sans doute celui-là. Il réunit tous les ingrédients que j’adore dans un livre, à savoir un style poétique, une atmosphère sombre et mystérieuse rappelant les classiques de la langue anglaise (Austen, Brontë, Dickens, Conan Doyle et j’en passe), une histoire prenante et qui donne à réfléchir, un univers incroyable ainsi qu’une touche de magie. Oh et c’est une brique, vous voilà prévenus. Mais ne vous encourrez pas tout de suite !
Voici déjà le résumé de l’éditeur :
1806. Dans une Angleterre usée par les guerres napoléoniennes, un magicien à l’ancienne mode, Mr Norrell, offre ses services afin d’empêcher l’avancée de la flotte française. En quelques jours, les Anglais ont repris l’avantage. Norrell devient la coqueluche du pays. C’est alors qu’il fait la connaissance d’un jeune et brillant magicien, Jonathan Strange. Ensemble, les deux hommes vont éblouir l’Angleterre par leurs prouesses. Jusqu’à ce que l’audacieux Strange, attiré par les aspects les plus sombres de la magie, provoque la colère de Mr Norrell… Entre roman fantastique et roman d’aventures, entre féerie et romantisme, ce premier roman de Susanna Clarke a été élu meilleur livre de l’année par Time Magazine et a reçu le prix Hugo.
Voici quelques années que cet imposant roman –plus de 1000 pages en poche- est sorti, et malgré un succès assez important dans les pays anglophones ainsi que plusieurs prix, il me semble que ce livre est passé plutôt inaperçu en France. La faute à un nombre de pages assez conséquents ? Du fait qu’il s’agisse d’un roman traitant de magie et de ce fait mal considéré par un lectorat adulte ? Du côté très « Littérature anglaise » ? Mystère. Quoiqu’il en soit, c’est bien dommage ! Il ne faut surtout pas se laisser impressionner par la longueur du livre, car il fallait bien cela à l’auteure pour réinventer notre Histoire. Elle nous plonge ainsi dans l’Angleterre du début du 19è siècle, en pleine guerre contre Napoléon, mais en introduisant un élément de taille dans l’équation : la magie.
Seulement attention, rien à voir avec Harry Potter, bien que l’on puisse être tenté de faire la comparaison entre les deux. Au début du roman, nous apprenons que les magiciens, loin de vivre cachés, était au contraire des gens respectés et admirés. Toutefois, en ces années 1800, l’ère de ces grands magiciens est révolue, et la magie n’est désormais plus que théorie, étudiée presque uniquement par de vieux et rares gentlemen. Jusqu’à ce que l’on découvre Monsieur Norrell, un vieil homme ennuyeux à mourir et toujours plongés dans des livres qu’il garde jalousement. Mais il s’avère être le dernier « Vrai » magicien, puisqu’il sait utiliser la magie de manière concrète et efficace. Après avoir été la coqueluche des soirées londonienne, il devient rapidement une arme de poids pour le gouvernement dans la guerre contre la France. Sollicité de partout, il finit par accepter de prendre un apprenti : Jonathan Strange. Jeune, brillant, attirant et sociable, ce dernier ne ressemble donc en rien à Norrell. Une rivalité va finalement naître entre l’élève et le maître bouleversant à jamais le monde de la magie, et même l’Histoire.
La réussite de ce roman tient en plusieurs points : tout d’abord, un univers riche, bien que basé sur une réalité historique plus ou moins respectée, où la magie est élevée au niveau de science et où les fées existent mais sont loin d’être les gentilles créatures ailées que nous connaissons ordinairement. L’imagination de l’auteure –qui a tout de même mis 10 ans à écrire ce livre !- est telle qu’elle nous gratifie régulièrement de notes de bas de page… souvent plus longues que la page elle-même ! Cela peut certes freiner la lecture de l’histoire principale, mais on ne peut qu’être impressionné par le monde que Susanna Clarke a réussi à créer, tant et si bien qu’on finit par voir dans ces notes de bas de page un moyen de pénétrer encore plus l’imaginaire étonnant de l’auteure. Un autre élément qui m’a beaucoup plu dans ce roman, c’est la façon dont sont présentées la condition de la femme et des noirs, loin d’être très glorieuses en ce début de 19è siècle comme l’on peut s’en douter. Sans en dévoiler trop sur l’intrigue, on peut toutefois dire que les ces catégories de personnages sont loin d’être aussi clichés et inutiles que dans ce qu’on peut malheureusement trop souvent voir dans une œuvre de fiction. Et leurs dures conditions de vie sont notamment mises en exergue par un ton et une atmosphère bien particuliers.
Le style du roman rappelle celui des grands romans anglais classiques du 19è, retranscrivant ainsi avec poésie cette époque sombre et parfois glauque, non sans un certain humour noir que les anglais affectionnent tant et qui nous montre que ces temps, même avec la magie, pouvaient être bien cruels. Le roman décrit ainsi un monde très sombre, parfois inquiétant et mystérieux, surtout en ce qui concerne ces fameuses fées, et en particulier d’une fée mâle dont nous allons rapidement faire la connaissance et suivre durant le reste du livre. Illogiques, sans pitié, égoïste, ne pensant qu’à s’amuser ; cet être surnaturel nous présente ainsi la face cachée et dangereuse de la magie qui s’apparente alors plus à de la folie qu’à l’instrument merveilleux qui permet au pays de triompher contre Napoléon et à amuser la galerie. Le tout se lit avec fluidité et grand plaisir, on ne finit par ne plus compter les pages qui passent. L’immersion dans le monde de Susanna Clarke est donc complète.
(Remarque : j’ai lu le livre en anglais, mais je pars du principe que la traductrice française aura su retranscrire tout cela du mieux que possible.)
L’auteure –inconnue jusqu’à alors et dont c’est le premier roman- a par ailleurs sorti par la suite un recueil de nouvelles intitulé Les demoiselles de Grace-Adieu et se situant dans ce même univers. Certains personnages de Jonathan Strange et Mr Norrell y font même une apparition. Toutefois, si le plaisir de se replonger dans son imaginaire est toujours là, je dois avouer que, pour ma part, j’ai trouvé que ce recueil n’atteint pas la grandeur du roman, et doit plutôt être considéré comme un « bonus » à l’instar des Contes de Beedle le Barde pour Harry Potter. A noter également que la BBC a annoncé une adaptation en série de ce roman –il faut bien cela pour couvrir la complexité de l’histoire et l’imagination débordante de l’auteure !- dont le tournage devrait débuter tout prochainement. Il n’est donc pas trop tard pour s’y mettre si, comme moi, vous préférez lire le livre avant de découvrir l’adaptation filmée. Affaire à suivre.
Bref, à lire absolument, cela en vaut largement le détour. Que vous appréciez la littérature du 19è, la culture anglaise, l’Histoire, les récits de magie ou simplement les romans qui vous font voyager dans un monde fantastique et merveilleux ; ce livre est fait pour vous.
Edition : Librairie générale française (Livre de poche)
Date de sortie : 27/02/2008
Prix : 10.2 euros
Nombre de page : 1146 pages
ISBN : 978-2-253-11283-9
Laisser un commentaire
Vous devez vous connecter pour publier un commentaire.