Floria Tosca – Paola Capriolo
Pourquoi ce livre ? Je suis une grande fan d’opéra et plus particulièrement de Carmen et Tosca. Pour ce dernier, c’est un opéra qui a fait beaucoup d’émulation et qui, chose rarissime, a donné lieu à une « histoire alternative » de l’opéra, qui a été publiée il y a plusieurs années. Cela faisait déjà un moment que je lorgnais dessus sans me décider à l’acheter, avant de céder et de me l’offrir. L’attente en valait la peine, cependant peut-être sans plus. J’ai conscience que cette review sera pour une fois un peu nébuleuse pour ceux qui ne sont pas familiers de l’opéra, mais je vais tâcher de la rendre aussi explicite que possible. 🙂 Et ce d’autant plus qu’il s’agit d’un livre en anglais (mais quand on aime on ne compte pas…)
Comme il est impossible de parler du livre sans avoir l’histoire originale de l’opéra de Puccini en tête, en voici un résumé :
En plein travail dans l’Eglise Sant’Andrea della Valle, le peintre Mario Cavaradossi, amant de la (jalouse) Tosca, accepte d’aider le prisonnier politique Angelotti dans son évasion. Le chef de la police Scarpia, dont les visées politiques cachent un rare sadisme, est lancé à sa poursuite et découvre très vite l’implication de Cavaradossi. Seul moyen de parvenir à ses fins : utiliser la belle Tosca, cause de tous ses fantasmes. Cavaradossi arrêté et torturé, Scarpia croira un instant posséder la belle, avant qu’elle ne le poignarde. Les sombres calculs de Scarpia lui survivront : passé un bref espoir, Mario mourra finalement exécuté, tandis que Tosca, rattrapée par son crime, se jettera du haut du Château Saint-Ange.
Basé sur l’opéra de Puccini, Paola Capriolo ré-interprète les relations entre la chanteuse Floria Tosca et le radical de police, Scarpia, ainsi qu’avec le peintre amoureux de Tosca, Mario. Ecrit d’une plume élégante, évoquant les romans historiques du XVIIIe siècle, l’auteur donne à voir une histoire où l’amour et la haine, la piété et l’enfer, l’abstinence et le désir sont intimement liés.
J’admets qu’il s’agit d’une histoire qui ne risque que d’intéresser les personnes ayant déjà aimé l’opéra Tosca, aussi, je vais tâcher de ne pas parler uniquement de cela mais aussi de l’intérêt en général de telle tentative d’écrire à partir d’un univers déjà existant.
Tout d’abord, je dois dire que je ne m’attendais pas exactement à ce que j’ai trouvé en ouvrant ce livre, bien que l’anglais en soit assez facile à lire. Je m’attendais sans doute à une sorte de relecture de l’opéra de base, or l’auteur choisit de réinventer cette histoire en prenant un parti pris différent. Si certains éléments, notamment les débuts et fins, relations entre les personnages, sont un peu près intacts, le reste est inventé. On reste certes sur la ligne directrice de Scarpia voulant arrêter les opposants politiques, dont Cavaradossi, via Tosca, mais cela s’arrête là. En choisissant de raconter l’histoire par le point de vue de Scarpia – par son journal – l’auteur nous donne à voir la pensée d’un des personnages ayant le plus incarné le mal à l’état pur et brillant, dans le domaine de l’opéra. Ce qui est très intéressant, parce que même si le roman est censé être dans le style SM, celui-ci reste très léger ou du moins peu explicite, y compris à travers les pensées du narrateur. Et c’est ce côté implicite qui est aussi très bien, car on ne trouve pas des scènes horribles comme on pourrait s’y attendre (le sujet de l’opéra n’étant pas du tout léger) mais au contraire des moments inattendus. Toute cette version de l’histoire se base sur les réflexions de Scarpia (sur la société, la religion, les relations entre homme et femme, l’éducation des générations, la justice, etc) et sur ses conversations avec Tosca, qui se révèlent enrichissantes et parfois réellement intéressantes voire philosophiques. De plus, pour une fois, je n’ai pas trouvé le style sec, comme d’ordinaire lorsque je lis un livre en anglais, mais au contraire fluide et riches en descriptions.
Même si l’histoire en elle-même n’a rien de mirobolant – elle se résume en discussions, intrigues et pensées du narrateur – elle présente l’avantage des livres écrits par d’autres, à partir d’univers déjà existants, et je trouve que c’en est un très bon exemple. On redécouvre grâce à cette vision de l’auteur, un autre angle de vue des personnages, et c’est le plus intéressant, tout simplement – en plus de retrouver un univers et des personnages qu’on apprécie. Paola Capriolo a choisi de présenter un Scarpia plus bureaucrate que tortionnaire, plus hypocrite qu’égoïste, peut-être plus romantique que sadique même s’il l’est aussi, plus philosophe, plus croyant aussi. Certes, chaque chanteur d’opéra ayant joué le rôle a son propre Scarpia, mais celui-ci paraît plus humain que monstrueux, ayant un chemin de pensée très intéressant à découvrir et rendant cohérente sa personnalité. Tosca, elle, a toujours un double jeu car on ne sait jamais vraiment si elle croit à tout ce que raconte Scarpia ou si elle joue un rôle pour sauver son amant. Cependant, la vision qu’en donne l’auteur est aussi plaisante – quelqu’un prêt au sacrifice mais aussi égoïste, de belle mais aussi sincère, prima donna mais aussi réfléchie. Et c’est le fait que l’auteur parvienne à redonner un nouvel aperçu de personnages vieux de plus d’un siècle, qui est aussi passionnant. Même si je ne suis pas d’accord avec tous les partis pris, ils sont assez pertinents à voir.
« Doit-on donner un nom à la divinité que nous adorons tous deux ? J’y ai bien réfléchi et j’ai choisi de l’appeler amour. D’après un vieil apprentissage, l’amour, avec la haine, gouverne la succession de cycles cosmiques, mais des deux, lequel crois-tu être la force destructrice, celui qui ordonne aux individus de se rassembler, de s’oublier avec la plus grande des joies, de s’oublier eux-mêmes dans un gouffre empli de troubles ? Le monde, ma chère, existe seulement comme négation de cet amour, de sa limitation par un pouvoir opposé, et il n’y a que nous deux, Floria Tosca et le baron Scarpia, qui existent, des demi-mesures, les termes d’un compromis insatisfaisant. Mais nous n’avons aucune compréhension qui nous reste ; même maintenant nous pouvons à peine parler le langage des autres hommes, d’employer ses euphémismes avec la plus grande légèreté sans songer à cette duplicité des mots. Oui, Tosca Triomphante, je te laisse mener cette métamorphose jusqu’à la toute fin. Défais l’ourlet de ta tunique, élève ton pied pour m’écraser, mais cesse de t’illusionner en pensant que ces actions t’appartiennent, quand toi-même tu ne t’appartiens plus depuis longtemps. Ne te méprends pas sur mes paroles, je ne souhaite pas te faire mienne, comme les amants se le disent dans leur langue aveugle. Nous deux, Floria Tosca, nous ne sommes pas aveugles, et peut-être que nous ne sommes pas des amants non plus, mais plutôt des ministres de l’amour ; nous devons rendre à ce pouvoir l’hommage qui lui est dû. » (traduction de mon cru d’un passage des derniers chapitres, et assez significatif du reste du roman)
Ce qui m’amène donc à quelque chose de plus général : ce qu’on appelle préquelles, séquelles en littérature, se basant sur des univers déjà existants, est toujours quelque chose de périlleux, quoique souvent intéressants. Ici ce livre me rend relativement mitigée mais il appartient quand même aux bonnes « séquelles » que j’ai pu lire jusqu’à présent. Car il est d’abord très difficile de reprendre des personnages qui ne sont pas les siens pour écrire un texte, d’abord par fidélité à l’auteur et ensuite pour plaire au lecteur, pour se contenter à la fois de reprendre un modèle mais aussi d’en donner une nouvelle vision. Il est aussi difficile de garder le même style d’écriture, même si on essaye de s’y attacher. Beaucoup de récits repris ainsi se cassent la figure parce qu’ils proposent des choses allant dans le sens contraire de l’auteur de base ou alors en donnant aux personnages un caractère qui n’est pas du tout celui de départ, le rendant déformé. Gwenlan avait parlé de La mort vient à Pemberley, qui est un exemple de séquelle tenant plus ou moins la route ^^
Mais ces textes permettent aussi, de façon très intéressante, de faire croiser des personnages d’univers différents. C’est notamment le cas avec Sherlock Holmes qui a croisé Jack l’Eventreur, le Fantôme de l’Opéra, ou encore Dracula !
Personnellement, les séquelles m’ayant le plus plu (ou versions d’histoires) sont The angel of the opera de Sam Siciliano, qui en dépit d’une fin très plate, retraçait à merveille les personnages du Fantôme de l’Opéra de Leroux et le fameux Sherlock Holmes, mettant en parallèle leur personnalité, et, même si ça fait très longtemps que je l’ai lu, le Retour de Dracula de Freda Warrington, tellement semblable à l’atmosphère des romans de Bram Stocker.
Dans les moyennes, il y a eu un autre Sherlock Holmes et le Fantôme de l’opéra – basique et sans réel intérêt – une autre suite de Dracula dont je ne me souviens plus. Et dans les très mauvaises je n’en ai qu’un, La malédiction de Manderley – suite de Rebecca de Daphné du Maurier – où j’ai passé mon temps à rire sur les trois cents pages du livre tellement c’était mauvais et plat.
Il y a aussi les Histoires secrètes de Sherlock Holmes de René Reouvan, je crois, qu’Ohagi a dans sa pile à lire, que j’avais commencé mais que je dois reprendre ^^ Et vous lecteurs/lectrices du blog, vous avez des expériences sur ces fameuses histoires reprenant des univers précis ?
Roman italien. Titre original : Vissi d’arte (qui pour la petite histoire est le titre de l’air principal de Tosca dans l’opéra, « j’ai vécu d’art, j’ai vécu d’amour »
Editions : Serpent’s Tail
Première parution anglaise : 1997
Parution originale : 1991
Disponibilité : d’occasion sur Internet (7-8 euros) (et oui encore un livre introuvable)
144 pages.
EAN : 978-1852423810
Lectures en cours : Les jardins de Kensington de Fresan (encore…) et Les liaisons dangereuses, du boudoir à la révolution de BiancaMaria Fontana.
https://lamalleauxlivres.com/floria-tosca-paola-capriolo/https://lamalleauxlivres.com/wp-content/uploads/tosca1.jpghttps://lamalleauxlivres.com/wp-content/uploads/tosca1-150x150.jpgNon classéCavaradossi,Floria Tosca,Giacomo Puccini,Opéra,Paola Caprioli,Roman italien,Scarpia,Séquelle,Vissi d'artePourquoi ce livre ? Je suis une grande fan d'opéra et plus particulièrement de Carmen et Tosca. Pour ce dernier, c'est un opéra qui a fait beaucoup d'émulation et qui, chose rarissime, a donné lieu à une 'histoire alternative' de l'opéra, qui a été publiée il y a plusieurs...HauntyaHauntya bunesque@live.frSubscriberDiplômée en métiers du livre et en digital humanities, elle adore la littérature depuis son enfance. Spécialiste des livres de bibliothèques rendus en retard, ses lectures sont variées même si elle affectionne particulièrement les classiques et les romans du XIXe siècle, avec un chocolat chaud ou un thé. Elle ne demande qu'à ce que les livres la fassent rêver mais aussi réfléchir. Blog personnel : http://hauntya.wordpress.comLA MALLE AUX LIVRES
C’est horrible de ta part de ne proposer que des livres qui ont l’air génial, mais qui sont difficiles à se procurer ^^
Je partage ton intérêt pour les séquelles/préquelles, même s’il est vrai que parfois, on peut être déçu. Je note celles que tu as appréciées en tous cas, merci **
Effectivement, je suis en train de lire les Histoires secrètes de SH, mais c’est Gwenlan qui l’a dans sa pile ^^ Mais je l’ai presque terminé, il ne me reste plus que la dernière histoire, et je peux déjà vous le conseiller vivement si vous êtes un fan de Holmes !
Tout comme La Maison de soie d’Anthony Horowitz qui fut une bonne surprise 🙂
J’avoue que c’est ma grande malédiction, j’ai toujours été une spécialiste des livres introuvables…^^’ mais celui-là au pire, n’hésite pas à me demander de te le prêter !
Et oui, les séquelles c’est le grand casse-gueule en général pour les écrivains. Il n’y a presque pas de demi-mesure… Ah, parfait pour les Histoires secrètes de SH ! J’avais adoré mais m’étais arrêtée à la première, et je n’ai pas repris de suite. J’ai aussi entendu parler de la Maison de soie, sans avoir la curiosité de l’ouvrir ** je note ! Merci !!